À propos des listes d’experts - le débat n’est pas récent
Georges MOUCHNINO, Expert


L’usage de désigner des experts vient des Romains qui faisaient déjà appel à des géomètres, arpenteurs, priseurs ; ces experts étaient en général des professionnels expérimentés, choisis par les parties et prêtaient serment au cours de leurs interventions.

En France jusqu’à la Renaissance, les experts étaient désignés selon ces principes, par les parties ou d'office par un juge.

Le contentieux de l’époque s’intéresse aux mesurages, visites, servitude, partages et actes dépendant essentiellement de l'architecture et de la construction.

Les rois de France, sans doute sensibilisés à la qualité des expertises procurées aux juges, ont été conduits à créer de véritables corps d’experts.

Le premier fut
Henri II qui, par un édit du mois de février 1554, décida la création de six offices d'arpenteurs et mesureurs des terres dans chaque ressort du royaume.

Puis
Henri III, par un édit du mois de juin 1575, en augmenta le nombre et leur attribua l'hérédité et la qualité de prud’hommes-priseurs de terres.

C’est aussi Henri III qui créa par un édit du mois d'octobre 1574, le corps des
jurés-maçons et jurés-charpentiers, pour accomplir visites, toises, prises de bâtiments et rapports en matière de servitude et partage.

Il faut croire que les justiciables n’étaient pas totalement satisfaits des conditions d’intervention des experts puisque Messieurs Diderot et d'Alembert rapportent qu’il « 
arriva que des personnes sans expérience suffisante rendirent des rapports dans des arts et métiers dont ils n'avaient ni pratique ni connaissance ».

C’est
Louis XIV qui nous laisse, semble-il, la première véritable liste d’experts. Son premier édit traitant de la matière est celui du mois de mai 1690, par lequel il supprime les offices de jurés-maçons et jurés-charpentiers créés par Henri III.
Par cette même décision, Louis XIV établit en titre d'
office héréditaire pour la ville de Paris, cinquante experts-jurés et vingt-cinq bourgeois ou architectes. Dans chaque grande ville du Royaume, il donne également une liste de six jurés-experts.
Il était alors
interdit à toutes autres personnes de se livrer à la pratique de ce qui allait devenir l'expertise et aux parties de faire intervenir d'autres experts que ceux inscrits. L’édit défend aux juges de commettre d'autres experts que ceux établis sur la liste décrétée et de fonder leurs jugements sur des rapports qui n’auraient pas été établis par les experts en titre.

Pour Paris, un
tableau des cinquante experts présente en deux colonnes les vingt-cinq experts-bourgeois-architectes et les vingt-cinq experts-entrepreneurs.

L’édit fondateur fixe les modalités de leur rémunération, salaires et vacations ; ordonne que les bénéficiaires de l’inscription prêtent serment devant le juge des lieux ; que les experts-entrepreneurs assureront tour-à-tour, toutes les semaines, la visite de tous les ateliers et bâtiments qui se construisent dans la ville et ses faubourgs ; qu'ils seront à cet effet assistés de six
maîtres-maçons, pour faire le rapport des contraventions constatées.


Figure reproduisant le tableau de l’édit de mai 1690.

Le deuxième édit est celui du mois de juillet de la même année, donné en interprétation du précédent.

Le troisième édit est celui du mois de décembre 1690, par lequel Louis XIV supprime les offices d'arpenteurs-priseurs de terres créés en février 1554 et juin 1575.

Le quatrième édit est celui du mois de mars 1696, portant création d'offices d'
experts-priseurs et arpenteurs-jurés, par augmentation du nombre fixé par les édits des mois de mai, juillet et décembre 1690.

Dans toutes les villes où il existe un tableau d’experts en titre, les parties comme les juges ne peuvent désigner des experts qui n’y seraient pas, à moins que la matière dont dépend l’issue ne se réfère à des connaissances propres à d'autres professionnels.

Tout cela reste d’une actualité brûlante.


Bibliographie

  • Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751 à 1772)

  • Manuel des Lois du Bâtiment de la Société Centrale des Architectes Français (1901)